Accéder au contenu principal

# 4 Liberté, égalité, inondations

 

Habitation-consommation-locomotion-inondations

J'étais hier à l'hôtel du Département du Lot qui lance aujourd'hui sa quinzaine du développement durable, pour préparer une conférence que je donnerai prochainement (programme ici). Je monte au 4ème étage et me retrouve dans une salle aux murs de verre surplombant l'une des entrées de ville de Cahors et, au loin, un château Renaissance, magnifique. 

Mais au premier plan, que vois-je ? Une nouvelle grande surface qui se crée en entrée de ville. Je poursuis ma lecture du paysage commercial et voit une autre (très) grande enseigne, de l'autre côté de la rive du Lot, située dans la zone d'expansion de la crue. 

Passée il y a peu dans le Boulonnais où 40 entreprises situées dans le lit de la Liane ont été fortement inondées l'an dernier, je me remémore les exemples que j'ai en tête de commerces de grande distribution installés en zone inondable en France (à Villefranche sur Saône, à Marans en Charente, dans l'Oise, etc.). Pour les constructions neuves, ils sont construits sur pilotis comme cela est expliqué dans le guide "Activ'ô entreprises" (p.4). Pour les constructions existantes... le risque d'inondation est bien là (on le sait !).

(source : PPRNi approuvé en 2023. Je ne trouve pas la carte de zonage où se situe le Leclerc ?)

Les questions se succèdent et arrive celle du lien entre le modèle de progrès et urbain, issu du XXème siècle, qui faisait (et fait encore visiblement) le lien entre habitation-consommation-locomotion. Sauf que dans nombre de villes de taille moyenne, il convient désormais d'ajouter le dernier tiret : "inondation" ! 

Pour quelles raisons ces grandes surfaces se sont-elles installées dans des zones inondables ? Je fais l'hypothèse du besoin de disposer de parcelles en entrée de ville (facilitante pour les livraisons en camion), de coût, de disponibilité foncière. En zones inondables ? Elles n'étaient pas forcément identifiées comme tel au moment de l'installation des bâtiments. La conscience de l'exposition aux risques majeurs évolue, de même que la capacité de construire n'importe où.

Subitement me traverse la comparaison entre le modèle de consommation hérité du siècle dernier et d'un boulet géant qui dévalerait inexorablement une pente sans pouvoir s'arrêter et nous serait fatal... Une sorte de cauchemar, de perte de maîtrise. L'idée toutefois que si les humains se mettent à plusieurs, il est possible de limiter le phénomène... 

Je fais alors le lien avec des lectures récentes : la naissance du libre service date de 1916 aux Etats-Unis. "Ce modèle a été adopté en Europe en 1940 et a marqué le début de la révolution commerciale des "trente glorieuses"". Avec le développement des capacités d'emballages plastiques, ce modèle de libre-service va se développer de manière exponentielle dès les années 60'. Le récit positif relié à cette approche est celle de la liberté de choix, de l'absence d'interface humaine, de ne rien devoir à personne (à part à la caissière, mais qui s'automatise de plus en plus). Les "consommateurs se sentent libérés des contraintes de la vente au comptoir, la vivent comme la réalisation de leur liberté" comme l'écrit Jean-Claude Daumas dans un article récent (Que Choisir Budgets, oct. 2024, p.6).

Depuis cette date, 360 enseignes se répartissent sur environ 30 000 points de vente (en 2020) pour réaliser 80% du chiffre d'affaires du commerce de détail alimentaire en France métropolitaine (selon l'INSEE). Combien sont situées en zone inondable ? 

A Cahors, que je visite pour la première fois, cela m'interroge d'autant plus que cette région est productrice de denrées du terroir, de qualité, de proximité. D'ailleurs, à côté d'un nouveau supermarché en construction, se situe justement un commerce de produits locaux du Quercy ! 

Supermarché en construction, en face d'un ancien hyper + drive à l'entrée de Cahors. Photo : DR.

Dès 1916, certains penseurs voyaient déjà les conséquences du modèle de développement économique et industriel dont nous héritons. Par exemple : Rabindranath Tagore a prononcé le 18 juin 1916 son Message de l'Inde au Japon où il critique la civilisation politique de l'Occident faite de "gloutonnerie terrifiante et sans espoir, d'exploitation en grand des nations par les nations, de machines aussi colossales pour transformer en hachis de grandes portions de la Terre"...Cette machine, "c'est une science appliquée, et par conséquent plus ou moins semblable dans ses principes partout où elle est employée. C'est comme une presse hydraulique dont la pression est impersonnelle et, par cela même, sans défaillance". Comme le précise Blandine Doazan (dans l'article issu de Socialter, sept. 24, p. 96) : pour Tragore, cette technicisation du monde englobe et uniformise tout, et chaque personne se trouve abîmée par sa domination. 

 Un appel du 18 juin d'un nouveau genre, qui appellent de nouveaux positionnements individuels et collectifs ? 




Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

#6 "Sauve qui peut !" Un mouvement inéluctable face aux inondations

"Sauve qui peut" est l'expression qui m'est venue en voyant comme beaucoup de téléspectateur les petites villes et villages entiers inondées du département de Seine et Marne. Cette expression sert à décrire la foule qui battrait en retraite, de manière désordonnée.  Des limites et des injustices C'est de mon point de vue exactement ce qui est en train de se passer à l'échelle du territoire hexagonal avec ses limites et ses injustices.  Face aux inondations, de quoi parle-t-on ?  Du besoin à court terme de rendre sa maison de nouveau habitable. A moyen terme, nombre de personnes vont vouloir vendre. Mais à qui ? Qui va vouloir acheter des biens inondés et susceptibles de l'être de nouveau rapidement ? Des personnes mal informées ?  Un propriétaire indiquait : "nous avons acheté notre maison en 2017 et elle est inondée chaque année depuis. C'est clair, on vend". Pas si sûr.  A voir   Chacun y va de sa stratégie A la radio, j'entends une jou

#2 Générations pour le climat : Rassemblement intergénérationnel pour discuter des défis climatiques du Lot et des solutions

  Générations pour le climat : Rassemblement intergénérationnel pour discuter des défis climatiques du Lot et des solutions Lot en transitions : Découvrez le programme | Département du Lot J'ai été récemment conviée par le département du Lot pour favoriser le dialogue entre générations autour des défis climatiques.  La préparation de cette conférence m'interroge à plusieurs niveaux. En effet, l es personnes qui ont vécu les 30 glorieuses et la jeune génération ont-elles des choses à se dire concernant le climat ? Entre ceux dont l'activité a contribué au dérèglement climatique et ceux qui vont en porter les conséquences, quelles sont les terrains d'entente possibles ?  Que pensent les uns et les autres de la situation d'aujourd'hui ? Comment les séniors ont-ils fait évoluer leurs comportements, si tel est le cas, au regard de l'environnement et du climat ? Ont-ils changé leurs habitudes de consommation, de voyage, etc., ces dernières années où tantôt la chal

#5 [musique] "Un jour j'irai à New York avec toi..." heu non, finalement j'ai changé d'avis

Ces derniers mois, mes amis proches m'ont informée des voyages qu'ils ont entrepris ou prévoient d'entreprendre à l'autre bout du monde. Je les écoute, j'accueille leur parole sans mot dire et je m'interroge.  Voyage au long cout, emmener ses enfants loin, très loin, au bout du continent africain, au seuil de l'Amérique, au coeur de l'Asie, découvrir les gratte-ciel et se laisser prendre par le vertige des grands espaces, de l'autre côté de l'océan, de la mer et du ciel. Grand comment ? Combien faut-il aller loin pour sentir cette grandeur ? Grand par rapport à quoi ? D'où vient ce rêve américain, sud africain, sud asiatique ? De la fin du XIXème siècle ? de la fin du Moyen-Age ?  Aller voir les 5 big five, est-ce encore tendance ? Est-ce que cela doit l'être ? Sentir la rapiditié, les taxis jaunes, les grandes avenues, les sky-crapers, est-ce que cela a encore du sens ? New York serait la deuxième capitale de la France ? "Liberty, l