Habitation-consommation-locomotion-inondations
J'étais hier à l'hôtel du Département du Lot qui lance aujourd'hui sa quinzaine du développement durable, pour préparer une conférence que je donnerai prochainement (programme ici). Je monte au 4ème étage et me retrouve dans une salle aux murs de verre surplombant l'une des entrées de ville de Cahors et, au loin, un château Renaissance, magnifique.
Mais au premier plan, que vois-je ? Une nouvelle grande surface qui se crée en entrée de ville. Je poursuis ma lecture du paysage commercial et voit une autre (très) grande enseigne, de l'autre côté de la rive du Lot, située dans la zone d'expansion de la crue.
Passée il y a peu dans le Boulonnais où 40 entreprises situées dans le lit de la Liane ont été fortement inondées l'an dernier, je me remémore les exemples que j'ai en tête de commerces de grande distribution installés en zone inondable en France (à Villefranche sur Saône, à Marans en Charente, dans l'Oise, etc.). Pour les constructions neuves, ils sont construits sur pilotis comme cela est expliqué dans le guide "Activ'ô entreprises" (p.4). Pour les constructions existantes... le risque d'inondation est bien là (on le sait !).
Les questions se succèdent et arrive celle du lien entre le modèle de progrès et urbain, issu du XXème siècle, qui faisait (et fait encore visiblement) le lien entre habitation-consommation-locomotion. Sauf que dans nombre de villes de taille moyenne, il convient désormais d'ajouter le dernier tiret : "inondation" !Pour quelles raisons ces grandes surfaces se sont-elles installées dans des zones inondables ? Je fais l'hypothèse du besoin de disposer de parcelles en entrée de ville (facilitante pour les livraisons en camion), de coût, de disponibilité foncière. En zones inondables ? Elles n'étaient pas forcément identifiées comme tel au moment de l'installation des bâtiments. La conscience de l'exposition aux risques majeurs évolue, de même que la capacité de construire n'importe où.
Subitement me traverse la comparaison entre le modèle de consommation hérité du siècle dernier et d'un boulet géant qui dévalerait inexorablement une pente sans pouvoir s'arrêter et nous serait fatal... Une sorte de cauchemar, de perte de maîtrise. L'idée toutefois que si les humains se mettent à plusieurs, il est possible de limiter le phénomène...
Je fais alors le lien avec des lectures récentes : la naissance du libre service date de 1916 aux Etats-Unis. "Ce modèle a été adopté en Europe en 1940 et a marqué le début de la révolution commerciale des "trente glorieuses"". Avec le développement des capacités d'emballages plastiques, ce modèle de libre-service va se développer de manière exponentielle dès les années 60'. Le récit positif relié à cette approche est celle de la liberté de choix, de l'absence d'interface humaine, de ne rien devoir à personne (à part à la caissière, mais qui s'automatise de plus en plus). Les "consommateurs se sentent libérés des contraintes de la vente au comptoir, la vivent comme la réalisation de leur liberté" comme l'écrit Jean-Claude Daumas dans un article récent (Que Choisir Budgets, oct. 2024, p.6).
Depuis cette date, 360 enseignes se répartissent sur environ 30 000 points de vente (en 2020) pour réaliser 80% du chiffre d'affaires du commerce de détail alimentaire en France métropolitaine (selon l'INSEE). Combien sont situées en zone inondable ?
A Cahors, que je visite pour la première fois, cela m'interroge d'autant plus que cette région est productrice de denrées du terroir, de qualité, de proximité. D'ailleurs, à côté d'un nouveau supermarché en construction, se situe justement un commerce de produits locaux du Quercy !
Supermarché en construction, en face d'un ancien hyper + drive à l'entrée de Cahors. Photo : DR.
Dès 1916, certains penseurs voyaient déjà les conséquences du modèle de développement économique et industriel dont nous héritons. Par exemple : Rabindranath Tagore a prononcé le 18 juin 1916 son Message de l'Inde au Japon où il critique la civilisation politique de l'Occident faite de "gloutonnerie terrifiante et sans espoir, d'exploitation en grand des nations par les nations, de machines aussi colossales pour transformer en hachis de grandes portions de la Terre"...Cette machine, "c'est une science appliquée, et par conséquent plus ou moins semblable dans ses principes partout où elle est employée. C'est comme une presse hydraulique dont la pression est impersonnelle et, par cela même, sans défaillance". Comme le précise Blandine Doazan (dans l'article issu de Socialter, sept. 24, p. 96) : pour Tragore, cette technicisation du monde englobe et uniformise tout, et chaque personne se trouve abîmée par sa domination.
Un appel du 18 juin d'un nouveau genre, qui appellent de nouveaux positionnements individuels et collectifs ?
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