Par
Sandra Decelle-Lamothe, expert en prévention des risques majeurs et résilience
des territoires.
Publié
le 04/04/2020.
La crise du Covid-19 nous atteint dans nos
libertés fondamentales, celles de se mouvoir, de choisir nos actions au
quotidien, de travailler, etc. Le risque, invisible, nous conduit à une grande
prudence, à l’autodiscipline. Nous entrons malgré nous dans une période de
renoncement à nos habitudes, à nos projets, dont nous espérons qu’elle aura une
fin rapide. A l’heure où l’opération militaire RESILIENCE est menée par l’Armée
française sur le territoire national, cet article rappelle quelles sont les
étapes de ce concept en s'appuyant sur les retours d'expériences en matière de
prévention des risques majeurs.
Dès 2008, le Livre Blanc sur la défense[1] définit la
résilience comme « la
volonté et la capacité d’un pays, de la société et des pouvoirs publics à résister
aux conséquences d’une agression ou d’une catastrophe majeure, puis à rétablir
rapidement leur capacité de fonctionner normalement, ou tout le moins dans un
mode socialement acceptable. Elle concerne non seulement les pouvoirs publics,
mais encore les acteurs économiques et la société civile toute entière ».
L’accroissement de la résilience sociétale a été défini comme l’un des
objectifs de la stratégie de sécurité nationale française. Dans une certaine
mesure, les armées y participent, notamment au travers d’un appui dans les
domaines sanitaires, logistique et de la protection[2].
Le processus de résilience comprend des
étapes que nous précisons ici comme : une phase de dysfonctionnement
préalable, le choc, la gestion de crise, le repositionnement, la transformation
et une phase de renaissance.
Depuis plusieurs années, la prévention des
risques majeurs s’est enrichie des démarches de résilience. En France,
plusieurs ouvrages de référence, portés par différents ministères, en font
état : le livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale (2013)[3], Villes et
territoires résilients (2015)[4], La résilience
des territoires aux catastrophes (2017)[5], Sécurité
globale et résilience des territoires (2019) et De la prévention du risque
industriel à la résilience des activités économiques (2019)[6].
Plusieurs retours d’expériences de gestion
des catastrophes permettent de donner un éclairage sur le processus en cours
lié à la crise du Covid-19. La description des étapes de la démarche de
résilience offre une perspective de prise de conscience possible et encourage à
saisir les opportunités qui nous sont offertes de changer, d’évoluer, voire de
se transformer, et ainsi de mieux faire face aux enjeux globaux auxquels nous
sommes confrontés.
Des
situations dysfonctionnelles précèdent le choc
Le
processus de résilience suit généralement une phase d’inconséquence dans la
gestion des risques, d’aveuglement voire de déni. Les
catastrophes à répétition qui ont eu lieu ces dernières décennies, liées aux
activités anthropiques ou au dérèglement climatique, ont été autant de signaux
d’alarme de situations dysfonctionnelles sur le plan environnemental (alertes
sur le dérèglement climatique), social (inégalités qui se creusent) et en
termes de gouvernance (essoufflement des instances politiques mondiale post
seconde guerre mondiale, dispositifs de gestion de crise sectorisés plutôt que
globaux).
Ces événements, et les très nombreuses
pertes de vies humaines qui en ont découlé, ont donné lieu à des réponses au
coup par coup et a posteriori de la part des Etats, ou de groupe d’Etats
(exemple de la Loi « Risques » du 30 juillet 2003 suite à l’accident
d’AZF pour les risques industriels). Les catastrophes révèlent souvent
l’impréparation des Etats : exemple de l’impuissance de la Thaïlande face
au Tsunami de 2004 ou des Etats-Unis lors de l’Ouragan Katrina en 2005[7].
Si des leçons sont tirées après chaque
accident majeur, pour mieux se préparer et faire face, il existe un autre frein
à une meilleure gestion des crises : le déni dont, par exemple,
l’Australie a fait les frais en 2019 dans le cadre de la survenue d’incendies
exceptionnels (le gouvernement ayant tardé à prendre les mesures adaptées à la
hauteur de la crise).
Le
choc, fait générateur du processus de résilience
La
pandémie liée au coronavirus nous met dans une forme de sidération collective. Dans le processus de résilience, le choc est un moment décisif, un
point de bascule avec un avant et un après. Il se caractérise par une perte très significative et souvent
brutale, de libertés, de moyens (humain, financier, de
mobilité, etc.). Avant ce choc décisif, des premières « secousses »
peuvent avoir lieu : ce fut le cas du Tsunami en 2011 au Japon, suivi de
la catastrophe nucléaire de Fukushima le 11 mars, aux impacts internationaux.
Le choc a lieu à un moment donné. Pour la
crise du Covid-19, en France, ce moment serait celui-ci de la mise en
confinement généralisée le 15 mars 2020. Cet instant solennel fait prendre
conscience à un instant T que chacun est confronté au même danger. Au-delà du
fait générateur (le virus), c’est la mesure de confinement qui nous fait
basculer dans le processus de résilience. Selon les spécialistes, sans mesures
adaptées, le nombre de morts serait en effet d’un million en deux mois [8]. La majeure
partie des pays du monde prenant également des mesures de confinement, le
choc est globalisé, mondial, la résilience s’inscrit à ce niveau.
Des
vulnérabilités exacerbées : « la crise des vulnérables »
La
crise, et les mesures associées, renvoient aux points de faiblesses et de
vulnérabilité qui existaient préalablement. Tous les systèmes
sont touchés : la personne, les acteurs de la société (association,
entreprises, etc.), les Etats en charge d’assurer la sécurité de tous. Si une
fragilité du système existait déjà « à froid », elle va être
accentuée « à chaud ». Dans cette crise, les inégalités sociales et
les capacités en question du système hospitalier sont plus flagrantes. Ainsi le
mal-logement (934 000 logements surpeuplés, 4 000 000 de
mal-logés[9]), la détresse
psychologique (augmentation de plus de 30% des signalements liés aux violences
conjugales et familiales en région parisienne au cours de la deuxième semaine
de confinement), la solitude des plus vulnérables (près de 750 000
personnes âgées résident en EHPAD), l’accès inégal aux produits de premières
nécessité liée à une tension logistique (les masques, l’alimentation), etc.,
montre « une crise des vulnérables ».
La crise liée au coronavirus met en miroir
les mesures de distanciation sociale forcée, organisées de manière ponctuelle,
et celles que le rapport actuel à la vieillesse, au handicap, aux plus démunis
et vulnérables statutairement, a institué depuis des décennies.
Les
facteurs d’activation de la résilience dans la gestion de la crise
Dans
le processus de résilience, la voie de sortie de crise s’appuie sur la rupture
de l’isolement, l’activation de ressources et des « tuteurs de
résilience ». C’est la manifestation de liens sociaux préétablis, la mise
en œuvre, et le rodage par des exercices, de dispositifs de gestion coordonnée
de la catastrophe, qui favorisent une évolution positive par la suite. On
peut considérer que les solidarités se manifestent à quatre niveaux
différents : cellule familiale, réseau amical, lien social, système de
solidarité national. En situation de crise, toute personne, ou système, qui ne
serait pas reliée à plusieurs de ces points de contact voit sa
vulnérabilité augmenter. Cette situation critique vient s’ajouter au danger
initial générateur de la crise, ici le Covid-19. Cette activation des « multiples réseaux de solidarité », comme tuteurs de
résilience, s’appliquent en outre, on l’a vu ces dernières
semaines, à toutes les tailles de systèmes (hôpitaux, entreprises, Etat, etc.).
Elle crée une chaîne de solidarité.
La
naissance de nouvelles opportunités
Pendant
la crise, de nouveaux systèmes de solidarités et d’organisation se révèlent.
Des ressources insoupçonnées sont activées et de nouvelles se créent. Face au
VI-RUS, un instinct de SUR-VI se met en place, dans une forme d’allégresse,
d’optimisme, de générosité. Il nous révèle la meilleure part de nous-même,
(sans être dupe des effets d’opportunisme), celle dont nous devrons nous
souvenir « le jour d’après ». A titre d’exemple, les Japonais
utilisent des masques suite à l’épisode de la grippe espagnole[10]. En France, sur
un autre plan, le Fonds « Barnier »[11], créé en 1995,
finançait au départ les expropriations des biens exposés à un risque naturel.
Aujourd’hui, il intervient plus largement pour l’indemnisation des catastrophes
naturelles qui ne sont pas prises en charge par les assurances, et contribue à
financer la politique de prévention des risques naturels.
L'activation
de ces ressources sont le ferment de la transformation :
de nouveaux acteurs et de nouvelles initiatives se créent en écho aux
dysfonctionnements initiaux, qui apportent finalement leurs propres
antidotes. En temps de crise, le manque de recul empêche encore de mesurer
l’efficacité des solutions. Elles sont cependant des apports positifs pour
faire face à de nouvelles pandémies éventuelles, repenser la mondialisation,
les niveaux d’échanges, les points de vulnérabilités.
La
phase de « repos » ou de « repositionnement » post crise
Après
la phase aiguë de la crise, une phase de « repos » se présente dans
le processus. C’est une étape clé de « repositionnement » qui se mêle
aux prises de conscience. C’est une étape pour dessiner les
choix d’avenir. C’est le moment où l’on prend conscience de ce que l’on ne
souhaite plus, des points de non-retour dans nos manières de procéder mais
c’est aussi l’étape où les mesures d’urgence qui ont été prises, notamment en
matière de privations de liberté, peuvent être entérinées… Par peur continuelle
qu’un aléa se présente, le champ de nos actions pourrait continuer à être
diminué, les contrôles sur les personnes accentués.
Cette étape de repositionnement est un autre
point de bascule entre le repli sur soi, la perte de nos droits et fondements
démocratiques, ou le renforcement d’alliances, la structuration d’instances de
coopération et de solidarité (comme avec la création du système de sécurité
sociale suite à la seconde guerre mondiale en France). C’est l’étape où ce qui
a été expérimenté pendant la crise se cristallise et prend corps de manière
durable dans les politiques publiques notamment.
L’étape
fragile de la transformation
Selon
l’ampleur de la catastrophe, la phase de post-crise conduit à une phase de
retour à la normale ou à la résilience, c’est-à-dire à un rebond associé à un
changement de trajectoire. C’est le temps où les choix
politiques et stratégiques sont cruciaux pour réduire fermement nos
vulnérabilités. La crise actuelle du Covid-19 fait comprendre, par le
renoncement, que nos fondamentaux reposeraient notamment sur : une
alimentation durable, un lien social autre que virtuel, des déplacements
raisonnés, une économie sécurisée. Le caractère mondialisé de la crise du
coronavirus et sa survenue brutale, comme une synthèse de bien d’autres crises
majeures précédentes, nous amène à repenser nos modes de vie au regard des
enjeux globaux.
Vers
une renaissance à nous-même ?
Ces
transformations sont une forme de renaissance à nous-mêmes (quel que soit
l’échelle : personnelle, collective), une révolution au sens premier du
terme, qui suppose des mesures de soutien fonctionnelles et structurelles
telles que :
- le maintien du soutien économique pour
favoriser la mutation des entreprises qui s’adapteraient aux nouveaux choix
politiques (relocalisation, transition écologique renforcée, économie
circulaire, etc.)
- la restructuration des axes de productions
pour favoriser le développement des entreprises qui permettraient de réduire
les vulnérabilités (alimentation, soin, recherche scientifique, logements,
etc.)
- la mise en place de nouveaux fondements
juridiques favorisant l’agilité de l’Etat pour réduire les libertés pendant les
phases ou cela est nécessaire, tout en favorisant le retour aux libertés
initiales ou plus étendues en dehors de la crise.
Premières
conclusions
Nous
sommes nombreux à alimenter la réflexion sur les suites de cette crise
exceptionnelle. Pour conclure, il semble en effet qu’elle interroge sur
différents plans dont :
- Le
besoin de trouver des espaces de gouvernance politique mondiale de gestion des
catastrophes afin d’activer de manière synchrone et solidaire les moyens
techniques, humains et financiers nécessaires pour faire face à des crises de
niveau mondial,
- la
perspective de changer d’échelle dans nos manières de vivre et de fonctionner,
en limitant nos déplacements et les conséquences sanitaires et
environnementales associées,
- l’importance
des liens humains, du soin et de la bienveillance aux plus fragiles dans une
perspective pour l’Europe, de vieillissement de la population,
- l’innovation
dans les nouvelles pratiques collaboratives d’échanges intellectuels, de
données, dans le respect des libertés individuelles et collectives.
***
Remerciements
à Bernard Guézo, expert en vulnérabilité et résilience des territoires et à
Damien Lamothe, coordonnateur pédagogique, expert en éducation à
l'environnement.
***
PS
: mes pensées les plus sincères vont à tous ceux et celles qui œuvrent
activement pour faire face, aux personnes décédées et à leur famille, à toutes
les personnes vulnérables, aux mal logés.
[1] Livre blanc sur
la défense et la sécurité nationale, Paris, Odile Jacob-La Documentation
française, 2008, tome 1, page 64.
[2] Présentation 25
mars 2020, Emmanuel Macron.
[3] Ministère de la
Défense, 2013.
[4] Commissariat
général au développement durable. Ministère de l’Ecologie. Edition CEREMA.
2015.
[5] Commissariat
général au développement durable .Ministère de l’Ecologie. 2017.
[6] Edition CEREMA.
2019.
[7] « L’ouragan
Katrina : les leçons d’un échec. Les faiblesses du dispositif de sécurité
intérieure des Etats-Unis ». Eric Steiger, janv. 2008.
[8]
Coronavirus : des modélisations montrent que l’endiguement du virus
prendra plusieurs mois. Le Monde, 19/03/2020.
[9] 25ème rapport
sur l’état du mal-logement en France en 2020. www.fondation-abbe-pierre.fr
[10] Conférence
Fréddy Vinet, de la grippe espagnole au covid-19. AFPCN. 3 avril 2020.
[11] Cf. loi
n°95-101 du 2 février 1995.
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